Il était une fois... Des faims de vivre
- valeriegrondin
- 1 févr. 2024
- 3 min de lecture

7/ Ces Objets de désir
- Monsieur 78 ans est décédé paisiblement cette nuit, dans son sommeil. Sa famille et ses amis sont là depuis un petit moment et t’attendent. Ils veulent te voir.
Même si sa mort était prévisible, j’accuse le coup. Un lien privilégié s’était tissé au fil des 10 séances avec ce patient à la forte personnalité. Rebelle et provocateur il s’était laissé prendre progressivement au jeu de la création. « Arrêtez avec vos questions à la Léon Zitrone » m’avait-il dit lors de sa première visite à l’atelier. Ce souvenir me fait sourire. J’avais vite compris que j’avais affaire à un vrai personnage !
- Ah ! Nous vous attendions. Nous sommes là pour récupérer les productions de mon frère. Merci pour tout ce que vous avez fait avec lui, il adorait venir à vos séances !
- Monsieur 78 ans voulait que je jette toutes ses créations à sa mort.
- Non, vous ne pouvez pas faire ça, c'est trop important pour nous ! Vous savez, il a fait les Beaux-Arts quand il était jeune, il avait beaucoup de talent mais il n'a rien gardé, il a tout détruit. Toute sa vie il a dépensé tout son argent, il s’est séparé de tout, même des femmes ! Alors ces peintures sont le seul héritage de la famille ! Je n’ai pas vu ses créations mais il nous a tellement parlé de ses séances, de la joie qu’il avait à venir à votre atelier et du plaisir de pouvoir encore créer grâce à vous. Il ne s'agit pas là d'esthétisme mais bien de transmission familiale. Ces créations ont de la valeur pour nous à cause de tout ça.
- Je ne suis pas certaine qu’il aurait aimé qu'autant de monde soit là à regarder ses peintures.
- Vous savez, là où il se trouve maintenant, il a probablement changé d’avis !
Alors voilà, Monsieur 78 ans, je me suis retrouvée avec 10 personnes dans l’atelier, autour des tables, à regarder, observer, cherchant des traces de votre présence, de votre passage. « Vous mettiez le lit où quand il venait ? » m’a demandé votre sœur.
Le moment était très solennel, nous étions tous très émus. J’ai présenté votre pochette sur la table, votre sœur a sorti de manière très délicate et avec précaution vos productions, comme des trésors d’un autre temps que l’on a peur d’abîmer et de voir disparaître. Tout le monde pleurait, et moi aussi ! Ils ont essayé de savoir comment vous aviez fait pour obtenir ces effets de matière, ces traces si délicates. Rassurez-vous, je n’ai rien dit !
Non, je n’ai rien dit de vos séances, de vos paroles, de vos commentaires, de vos réflexions, de ces moments de vie intensément vécus dans l’intimité de l’atelier. Ils ont vu un résultat, la partie émergée de l’iceberg qu’ils avaient besoin de saisir et d’emporter avec eux mais les débordements, les éclats, les fragilités, les rires ou les bons mots sont restés dans le secret de l’atelier.
Ils sont repartis soulagés et heureux avec l’impression d’avoir un peu de vous sous le bras, ces Objets que j’appelle « transmissionnels » qu’ils vont pouvoir s’approprier, investir le temps du deuil, pour s’en séparer progressivement.
Monsieur 78 ans, ils ne le savent pas mais j’ai respecté quand même votre volonté : je ne leur ai pas tout donné ! Je ne leur ai remis que les quelques productions dont vous étiez fier et satisfait. Les autres, je les ai jetées. Je pense que vous auriez été d’accord.
Trois jours plus tard…
- Valérie, je t’appelle car figure-toi que je déjeunais comme tous les jours chez Prosper et deux personnes à la table d’à côté parlaient de soins palliatifs. Le frère d’une des deux femmes venait de décéder et elle a commencé à parler des séances d’art-thérapie incroyables qu’il avait pu faire avec une Valérie. J’ai compris au fil de la discussion que c’était toi ! Elle a raconté aussi le moment très fort où ils sont tous allés en groupe récupérer les productions de son frère. Tu vois de qui elles parlaient ?
- C’est fou ! Oui je vois très bien…
Merci de m'avoir accordé votre attention pendant ce récit.
Je suis thérapeute, spécialiste des deuils, j’accompagne les particuliers et les entreprises.
N'hésitez pas à me contacter si vous souhaitez en discuter davantage.
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